L'aristocrate de l'Église
Trente ans après sa mort, I' « Evêque rouge », fidèle de Pétain, continue d'échapper à toute classification
IL avait le
sourire bonhomme et l'affabilité bienveillante. Un peu comme « le
bon pape » Jean XXIII, initiateur et ordonnateur du
concile Vatican Il qui lui donna une stature internationale :
par son intervention à la première séance en 1962, l'évêque
de Lille engagea résolument l'Eglise dans la voie des réformes.
Et en même temps, volonté de fer et détermination.
Trente ans après sa mort (le 15 février 1973), le cardinal Achille Liénart demeure un personnage paradoxal échappant à toute classification. Fils de la grande bourgeoisie lilloise, cet « aristocrate de l'Eglise », à qui même ses proches baisaient avec déférence l'anneau épiscopal, était parvenu au sommet de la hiérarchie catholique tout en se rendant médiatique (comme on ne disait pas à l'époque) comme « évêque rouge », défenseur des ouvriers en grève. A ceux qui s'étonnaient de sa participation à une souscription lancée pour soutenir les grévistes d'Halluin en février 1929, il avait répondu qu'il remplissait « un devoir de charité »…
A sa nomination à la tête du diocèse de Lille en 1928, à l'âge de quarante-quatre ans, il~devenait le plus jeune évêque de France. Siège qu'il devait conserver quarante années durant. Jusqu'à la fin de sa vie, il demeura populaire, chacun de ses déplacements déclenchant d'imposants mouvements de foule. Suscitant chez l'homme de la rue comme chez les responsables de tous bords des commentaires empreints de respect voire d'affection. « Vous êtes une espèce d'homme assez rare dont on ne dit jamais de mal, dont on ne dit que du bien », lui aurait dit le président Pompidou en lui remettant la grand-croix de la Légion d'honneur en 1970.
Rencontre glaciale
Avec le précédent président, Charles de Gaulle, les relations furent sans doute plus chaotiques. Les deux grands hommes de Lille avaient beau avoir été portés sur les mêmes fonts baptismaux de l'église Saint-André, le chef de la France Libre semble n'avoir apprécié que modérément le ralliement de dernière minute, à la Libération, du prélat jusqu'alors résolument pétainiste. Leur rencontre lors de la messe à l'église Saint-Michel, le dit-on, le 1er octobre 1944, fut, dit-on, plus que glaciale.
Toute la difficulté pour percevoir le cardinal Liénart est ici. Formé à une pensée religieuse conforme à la modernité ancrée dans le catholicisme social, résolument engagé auprès des humbles et des exploités, plus tard, dans les années cinquante, favorable au mouvement des prêtres-ouvriers, il est, dans le même temps, farouchement antimarxiste, explique Catherine Masson, sa première vraie biographe. Une attitude dont il ne dérogera jamais.
Attitude intrigante
Ainsi en 1960, quand Nikita Khrouchtchev vient en visite officielle en France « Nous ne pouvons oublier qu'il s'agit d'un chef de gouvernement qui propage officiellement l'athéisme et que des évêques, des prêtres et des populations catholiques ont gravement à souffrir des mesures prises contre leurs personnes et des entraves mises à leurs libertés religieuses », écrit-il dans une note confidentielle aux prêtres du diocèse.
Mais c'est sans doute son attitude durant l'Occupation qui intrigue le plus. Que l'ancien aumônier des tranchées soit resté fidèle au vainqueur de Verdun n'est pas vraiment surprenant des millions de Français seront dans ce cas. Plus curieuse est sa cécité quant au rôle du gouvernement de Vichy et à la personne même de Pétain (il se dira séduit par la vivacité du vieux maréchal alors que d'autres parlaient de « deux heures de lucidité par jour » !). Il déclara officiellement qu'on pouvait « se dérober sans péché » au STO (Service du travail obligatoire) mais s'indigna davantage des bombardements alliés que des exactions commises par les Allemands, même lors du massacre d'Ascq du le 1er avril 1944, et resta hostile à la Résistance derrière laquelle il croyait voir le spectre du communisme.
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Jean-Marie DUHAMEL
Source Voix du Nord
